Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
Grains
de sagesse
Automne 2002, numéro 5
Quand faut-il prendre sa retraite?
Depuis une vingtaine d’années, le moment où l’on prend sa retraite est une question entièrement personnelle. Pour ma part, je connais un collègue qui a pris sa retraite à 55 ans. Depuis, tout en poursuivant ses recherches, il a publié un livre qui fait maintenant autorité dans son domaine. Un nouveau livre qu'il vient de soumettre devrait obtenir le même succès. Bien sûr, il s'agit d'un cas exceptionnel. À l'autre bout du spectre, certains de nos collègues, ayant maintenant dépassé l'âge de 70 ans, demeurent professeurs réguliers et profitent ainsi d'une double rémunération. La possibilité de cette double rémunération, fait peu connu du public ni même de plusieurs collègues, résulte de la conjugaison de plusieurs lois.
La situation est résumée dans le règlement du Régime de retraite de l'Université de Montréal à l'article 5.03 qui porte sur la retraite ajournée. Cet article stipule que " La rente créditée au participant qui demeure au service de l'Université après la date normale de la retraite doit être ajournée jusqu'à la date effective de sa retraite ou, au plus tard, à la date la plus tardive à laquelle le service de sa rente doit débuter conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et du Règlement de l'impôt sur le revenu. "
En vertu de l'article 84.1 de la Loi sur les normes du travail, il n'y a pas d'âge obligatoire de la retraite au Québec. Il est donc possible pour un employé, en particulier pour un professeur d'université, de poursuivre sa carrière au-delà de l'âge traditionnel de la retraite, soit 65 ans. En résumé, même si l'âge normal de la retraite est 65 ans, un employé peut décider de demeurer à l'emploi de l'Université, auquel cas il diffère l'âge de sa retraite et, par conséquent, le versement de ses prestations de retraite. Cependant, lorsqu'il atteint l'âge de 69 ans, l'Université doit commencer à les lui verser dès le mois de janvier suivant, même s'il est encore en service.
Plusieurs de nos collègues ont profité de cette possibilité en retardant de quelques années leur départ. Il faut dire que plusieurs professeurs d'université débutent assez tard dans la carrière et l'on peut comprendre que certains, ayant par exemple obtenu des fonds de recherche considérables, ou ayant commencé des projets importants en fin de carrière, veuillent mener à terme ces derniers projets. Cela pourrait justifier un départ à la retraite retardé de quelques années. De plus, comme on vient de le voir, la loi de l'impôt prévoit que la caisse de retraite des employés doit commencer à verser les prestations à tout employé ayant atteint l'âge de 69 ans au 31 décembre de l'année précédente. En vertu de ces lois il découle donc qu'une personne de 70 ans (plus précisément une personne ayant atteint l'âge de 69 ans le ou avant le 31 décembre précédent) et toujours en service actif reçoit à la fois son salaire et ses prestations de retraité. À l'Université de Montréal une trentaine de professeurs ont choisi de rester employés de l'institution après avoir atteint l'âge de 70 ans et ils profitent donc d'une double rémunération.
Devons-nous nous scandaliser de cette situation? Soyons clairs. Nos collègues qui reçoivent à la fois un salaire complet et leurs prestations de retraite agissent dans la plus parfaite légalité. On pourrait dire qu'il s'agit d'un phénomène marginal puisque environ 30 professeurs seulement sont dans cette situation, alors qu'il y a environ 600 professeurs à la retraite. Toutefois, plusieurs de ces 600 professeurs ont moins de 65 ans, et davantage ont moins de 70 ans. Dans les trois dernières années, le nombre de professeurs jouissant de ces deux sources de revenu est passé de moins de 20 à plus de 30. S'il s'agissait d'une tendance, je crois que nous devrions nous en préoccuper. Voyons, par deux exemples, à quoi pourraient servir les économies qui auraient pu être réalisées si ces professeurs avaient choisi de prendre leur retraite. On sait qu'il est très important en ce moment que l'Université intensifie sa campagne de recrutement de jeunes professeurs, même si cela n'est pas chose facile vu la compétition entre les universités pour attirer de jeunes talents. Il est aussi important de recruter les meilleurs étudiants dans nos programmes, en particulier aux cycles supérieurs. Or le salaire des quelque 30 professeurs actifs de plus de 70 ans représente une somme d'environ trois millions de dollars par année, correspondant aux salaires de près de 70 nouveaux jeunes professeurs ou à des sommes qui pourraient servir à décerner mille bourses de 3 000 $ à des étudiants. N'y aurait-il pas motif à se réjouir qu'un professeur poursuive ses recherches en compagnie d'un jeune collègue qui aurait pu être recruté grâce au budget libéré par son départ à la retraite?
Depuis toujours, l'Université est un lieu de liberté et de responsabilité. Ainsi, aux nombreux privilèges reliés à la fonction de professeur d'université, sont rattachées des responsabilités, dont celle de réfléchir sur les implications d'un refus de partir à la retraite. Personnellement, je regrette que plusieurs de nos collègues aient choisi de ne pas prendre leur retraite à 69 ans ou même à 65 ans. Il est sans doute utile de rappeler ici l'existence de privilèges, moins connus il est vrai, dont jouissent les professeurs retraités. Ces privilèges sont reconnus implicitement par la tradition universitaire et de façon explicite à l'Université de Montréal par une décision du Comité exécutif à sa séance du 20 juin 1995. Par exemple, tout professeur retraité peut faire des demandes de subventions aux organismes subventionnaires : CRSNG, CRSH, … Il suffit pour cela, s'il n'est pas professeur émérite, qu'il soit nommé professeur associé. Il peut alors poursuivre ses recherches subventionnées, diriger des étudiants aux cycles supérieurs, etc. À l'Université de Montréal, plusieurs professeurs à la retraite font cela depuis plusieurs années.
Comme plusieurs collègues l'ont reconnu, les avantages d'être retraité sont multiples. Il y a un gain net de liberté, en particulier pour le choix de ses activités et pour les horaires de ces activités. Dommage que certains de nos collègues jugent bon de ne pas opter pour cette opportunité. Je crois que dans la grande majorité des cas, il ne s'agit pas d'une question d'argent, ni même d'une crainte de vieillir comme on pourrait le penser, mais plutôt d'un ardent désir de poursuivre plus avant dans la carrière et de participer pleinement à la vie universitaire. Pour un retraité, cela est encore possible, dans une certaine mesure bien sûr. Il est vrai qu'on ne peut plus avoir accès à des postes de direction, ni profiter pleinement des conditions faites aux professeurs réguliers comme l'accès à un ordinateur personnel, entre autres. Toutefois, il reste possible de faire de la recherche, d'écrire, de diriger des étudiants, de faire des cours, … Ne s'agit-il pas là des activités fondamentales d'un professeur d'université?