Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
Grains
de sagesse
Automne 2002, numéro 5
Chronique de l'Université
Dans la déclaration annuelle qu'il faisait le 7 octobre dernier à l'Assemblée universitaire, le recteur Robert Lacroix brossait un tableau fort impressionnant de l'état de l'établissement, en couvrant tout autant le passé récent (2000-2002) et l'exercice courant (2002-2003) que l'avenir prévisible (2003-2006). Il serait certes inutile, et au surplus fort peu approprié, de formuler ici des commentaires sur chacun des éléments du rapport du recteur d'autant plus que le texte en est disponible au Secrétariat général et qu'il est parallèlement accessible sur le site
web de l'Université.
Globalement, la déclaration du recteur fait nettement ressortir le fait que les forces vives de l'Université se sont conjuguées à compter du lancement (1999) du plan de relance dont l'élément clé, faut-il le rappeler, consistait à susciter une augmentation cumulative d'environ 4 000 étudiants (EETC) en 2002-2003. Grâce aux mesures prises à point nommé, il a été possible, dans l'ensemble, de dépasser largement les objectifs mis de l'avant par le plan. De fait, dès cet automne, il y a 4 851 EETC de plus qu'en 1999. Parallèlement, l'Université a pu préparer l'important document qui a conduit à la signature d'un contrat de performance avec le ministre de l'Éducation que Grains de sagesse a commenté dans une livraison antérieure.
Les retombées de cet ensemble de circonstances apparaissent clairement dans les sections et les paragraphes que leur consacre le recteur Lacroix. Qu'il suffise d'en dresser ici une liste succincte: amélioration substantielle de l'encadrement des étudiants; injection supplémentaire de 1 M $ pour le financement des étudiants; addition importante aux effectifs du corps professoral; mise sur pied de séminaires de complément de formation à l'intention des enseignants, notamment en ce qui trait à l'utilisation de nouvelles technologies; programme de soutien aux gestionnaires et au personnel d'encadrement, etc.
Comme le démontre clairement le recteur, le développement des activités de recherche, en partie stimulé par les divers programmes de chaires dont l'Université profite largement, s'est matérialisé par le niveau élevé des subventions que reçoivent les chercheurs des diverses disciplines. Au surplus, ce développement est en voie de se manifester d'une façon spectaculaire par la mise en chantier de nouveaux édifices qui abriteront, notamment, des activités de recherche dans les secteurs les plus pointus de la science et de la technologie. Incidemment, il faut noter que le succès enregistré à ce jour par la campagne de financement « Un monde de projets » a joué le rôle d'un important déclencheur de subventions auprès des organismes gouvernementaux. De son côté, le secteur des lettres et des sciences humaines a fait l'objet (2001-2002) des travaux d'un comité présidé par le vice-recteur à la planification et aux relations internationales. Le rapport qui aborde notamment « la dynamisation de la recherche [ainsi que] le recrutement et le cheminement des étudiants des cycles supérieurs » sera suivi d'ici peu d'un plan d'action dynamique.
Devant tout cela, on serait porté à conclure, à l'instar du mentor de Candide, que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Et pourtant !
Le diagnostic très favorable porté sur l'état de santé de l'établissement, tout annonciateur qu'il soit des brillantes performances à venir, laisse entrevoir des ratés et des faiblesses qui pourraient, si l'on n'y prend garde, affecter la vitalité de l'institution. C'est ainsi, par exemple, que l'enveloppe particulière mise à la disposition de l'Université pour l'entretien de ses biens meubles et immeubles continue d'être tragiquement insuffisante. Le sous-financement qui en résulte, ressenti par toute la communauté universitaire, a obligé récemment l'Université à recourir à des emprunts importants pour pallier la grave détérioration de son patrimoine. Il y a jusqu'aux grandes portes donnant accès au Hall d'honneur qui font état d'un délabrement inacceptable !
À mon sens, le problème le plus crucial qui confronte présentement l'Université est celui du recrutement d'un nombre suffisant de professeurs pour faire face adéquatement aux obligations contractées. À ce propos, le recteur ne rappelle-t-il pas qu'il manque présentement 150 professeurs pour atteindre les cibles visées. La situation est très grave car l'élément moteur de l'Université - son corps professoral - est directement touché. Il serait futile, pour résoudre ce problème, de désigner des boucs émissaires ou de pointer du doigt les décisions prises antérieurement, telles les coupures draconiennes des budgets imposées par l'État qui ont entraîné des mises à la retraite prématurée. Il faut plutôt rechercher avec vigueur les solutions concrètes susceptibles de porter des fruits dans le futur immédiat et à court terme.
Je suis conscient du fait que les autorités compétentes, de la direction de l'unité de base à celle de l'Université, en passant par le décanat en cause, le cas échéant, apportent à la solution de ce problème l'attention voulue. Mais, à l'évidence, cela ne suffit pas. Il faut, de toute urgence, mettre sur pied un plan de relève et y associer les moyens financiers appropriés. Je rappelle que le besoin urgent de recruter de nouvelles ressources professorales s'est manifesté à plus d'une reprise dans le passé (notamment au début des années '50 et au milieu des années '60) et qu'il a suscité la mise en œuvre de modalités de recrutement fort efficaces lesquelles ont conduit à l'embauche d'une bonne vingtaine de collègues.
Pour résoudre le problème dans l'immédiat, il faut, d'une façon très dynamique, établir des contacts avec d'anciens étudiants qui, exerçant en milieu professionnel ou universitaire, pourraient être intéressés à se joindre au corps professoral. La disponibilité de fonds appropriés faciliterait certes la migration des personnes en cause. L'idée est loin d'être farfelue car, déjà, des départements ont procédé ainsi.
La préparation de la relève à court terme pourrait se faire à partir d'étudiants qui, sur le point d'obtenir leur doctorat, seraient disposés, moyennant un accompagnement financier approprié, à poursuivre des études post doctorales. Un engagement bilatéral stipulerait, d'une part, que l'Université garantit un poste d'enseignant pour une durée appropriée (3 ans par exemple) et, d'autre part, que l'étudiant s'engage à accepter le poste offert, à défaut de quoi, il devra rembourser l'Université pour le financement consenti. La préparation de la relève à moyen terme se ferait d'une façon équivalente sauf que l'étudiant, au tout début de ses études supérieures, serait invité à entreprendre des études de doctorat dans une « boîte » prestigieuse étant assuré que l'Université l'accompagnerait financièrement dans son projet. Comme dans le cas précédent, une entente bilatérale stipulerait les conditions afférentes. L'expérience du passé a montré que cette recette fonctionne; d'ailleurs, je puis en témoigner personnellement !
Il convient de signaler un autre important raté de l'opération relance: le nombre d'étudiants inscrits au 3ième cycle est nettement inférieur aux prévisions. Cette situation, sérieuse en soi, est porteuse de conséquences graves lorsqu'on la situe dans le cadre de l'inquiétante pénurie de candidats pour combler les centaines de postes disponibles dans l'enseignement universitaire. Et ces centaines se muteront en milliers d'ici peu de temps, affirme le recteur. Cette fois, il faudra mettre sur pied un plan de recrutement pour encourager financièrement les étudiants à entreprendre et terminer des études de 3ième cycle ce qui permettrait de préparer à long terme la relève dont l'enseignement supérieur a un urgent besoin. Étant donné que cette pénurie touche tout le secteur de l'enseignement supérieur, l'État devra obligatoirement s'impliquer à fond car il y va de la préservation même de la qualité de l'enseignement dispensé dans les universités.
La présentation que le recteur Lacroix fait des orientations 2003-2006 s'inscrit dans le droit fil des développements amorcés jusqu'ici. Les nombreux paragraphes qu'il consacre à cette période - lesquels je vous conseille de lire attentivement - dressent un impressionnant bilan des défis que l'Université devra relever. Selon lui, les éléments essentiels sont maintenant en place pour que l'Université continue de jouer son rôle de grande université de recherche. Cependant, point besoin d'être grand devin pour percevoir l'incertitude qui demeure associée aux modalités selon lesquelles les subventions gouvernementales seront allouées, tant il est vrai qu'elles sont indissociables de l'état des finances publiques et des priorités accordées à l'enseignement universitaire. D'ailleurs, les contraintes qui résultent de la toute récente réduction de l'enveloppe gouvernementale pour l'enseignement supérieur se font déjà sentir.
Quelques questions précises viennent spontanément à l'esprit. Les contrats de performance qui viennent à échéance en 2003 seront-il reconduits et si oui dans quelles conditions? L'Université réussira-t-elle à embaucher, annuellement, la centaine d'enseignants dont elle a besoin? Pourra-t-elle produire en nombre suffisant les diplômés de 3ième cycle que la société requiert tant pour l'enseignement supérieur que pour les postes qui exigent une main-d'œuvre hautement qualifiée? Mon optimisme irréductible, qui repose sur la façon dont l'Université a survécu puis s'est développée au cours des 50 dernières années, me convainc qu'elle continuera de progresser et de jouer son rôle dans la société, mais que, pour ce faire, elle devra, une fois de plus, compter sur l'appui et le dynamisme de chacune de ses composantes.