Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
Grains
de sagesse
Printemps 2002, numéro 4
La guerre des frais de
scolarité n'aura
pas lieu. Dommage!
Périodiquement depuis des années, le même scénario se répétait à peu de détails près. Les acteurs et les rôles étaient quasi immuables. D'abord, quelqu'un OSE poser la question du dégel des frais de scolarité dans les universités: "peut-être devrait-on…?". Les associations étudiantes poussent alors des hauts cris et mobilisent leurs membres. Manifestations, attaques en règle dans les journaux étudiants et sur la place publique. Interpellées, les administrations universitaires (sauf celle de McGill) n'osent pas prendre parti et se font toutes petites. Les associations de professeurs protestent contre le dégel. Devant l'ampleur des protestations, le gouvernement réaffirme le principe d'accessibilité et finit par opter pour le statu quo. Les universités reviennent alors à la charge pour faire valoir leurs besoins pressants, le plus souvent sans trop de succès.
Ce qui étonne cette fois-ci, c'est la rapidité et la vigueur avec laquelle on a éteint l'incendie allumé par le ministre de l'éducation lui-même. Les associations étudiantes n'ont même pas le temps de mobiliser leurs troupes. Le gouvernement fait le travail de façon expéditive. Le ministre Legault évoque une éventuelle hausse des frais de scolarité "après les élections" (électoralisme 101, monsieur le ministre…); il est aussitôt affecté à un autre ministère! À peine nommé, le nouveau ministre de l'éducation corrige le tir et nous informe qu'il n'y aura pas de hausse des frais de scolarité. Puis le premier ministre intervient en personne et confirme qu'il n'y aura pas d'augmentation, ni avant ni après les élections. Fin de la crise. Rendez-vous dans trois ou quatre ans !
DOMMAGE !
Est-il nécessaire de dire que ce " dommage! " n'engage que l'auteur de ces lignes? Autre avantage d'être retraité… Je n'ai consulté ni l'APRUM, ni la direction de l'Université de Montréal, ni les associations étudiantes où je compte d'ailleurs de bons amis (du moins jusqu'à aujourd'hui).
Les faits sont bien connus. En retard sur la fréquentation, la diplômation et la qualité de ses institutions universitaires francophones, le Québec met sur pied, dès les premières années de la Révolution tranquille, un vaste plan de rattrapage. Sans accorder la gratuité comme le réclament encore les associations étudiantes, les différents gouvernements ont continué fort sagement à freiner la hausse des frais de scolarité et les ont fixés à 1 668 $ par an et cela depuis plus de dix ans. Partout ailleurs au Canada et aux États-Unis, on observe des hausses importantes; les frais sont actuellement de plus de 4 000 $ dans les universités auxquelles nous aimons nous comparer.
La différence devient HÉNAURME quand on tient compte du fait que le baccalauréat se complète normalement en TROIS ans au Québec et en QUATRE ans ailleurs en Amérique ! (1 668 X 3= 5 004 $; 4 000 X 4 = 16 000 $, trois fois plus). Dans l'ensemble, au Québec, le plan de rattrapage a donné des résultats qui vont au-delà des rêves les plus optimistes. Le niveau de scolarisation et de diplômation des Québécoises et des Québécois a connu des hausses spectaculaires; il est un des plus élevés au monde (L'état du monde 2001, statistiques du MEQ et de Statistique Canada). La qualité de l'enseignement et des recherches dans les universités québécoises, le niveau de compétence de leurs professeurs et de leurs diplômés, leur rayonnement local et international sont autant de raisons de nous réjouir et de nous féliciter individuellement et collectivement. Dans l'ensemble, nous pouvons donc être fiers de ce qui a été réalisé. Il est évident que nous ne sommes plus les sous-développés universitaires que nous étions il y a trente ou quarante ans; nous sommes même dans le peloton de tête sous plusieurs aspects importants de la vie universitaire. Les premiers bénéficiaires de ces succès collectifs sont les étudiants dont la formation et les diplômes les placent dans le “mainstream", autant chez nous qu'à l'étranger.
Mais alors ? Car il y a un mais… beaucoup de mais.
Depuis le début des années 80, les universités québécoises ont connu des crises budgétaires à répétition qui ont failli les faire chavirer. Absence d'embauche de personnels (surtout enseignant) pendant des années, coupures de postes, “rationalisations “spectaculaires qui ont mobilisé des énergies considérables avec des résultats souvent imperceptibles. Et malgré cela, les universités ont accumulé des déficits énormes qui ont hypothéqué et continueront à hypothéquer leur dynamisme et leur développement pour des années à venir. Pour nous empêcher de sombrer, nous avons dû accepter des nombres records d'étudiants dont l'encadrement laisse aujourd'hui à désirer. Les bibliothèques, les infrastructures, les services informatiques, l'aide financière aux étudiants sont insatisfaisants. Les "contrats de performance “ont commencé à remettre de l'argent et surtout de l'espoir dans le système. Ils viennent à peine de prendre effet. Nous commençons tout juste à respirer un peu mieux. Nous avons réussi à survivre et nous pouvons même être fiers de nos succès, mais les blessures sont encore trop profondes pour que nous soyons laissés à notre sort et qu'on nous considère en vitesse de croisière. Nous sommes loin, très loin du compte; les universités québécoises sont encore en crise profonde. Elles ont besoin d'un important supplément de ressources.
D'où viendront les ressources ?
Depuis plus de vingt ans, nos gouvernements manquent de ressources, ont d'autres priorités, tergiversent, réduisent, coupent, rationalisent et interdisent de hausser les frais de scolarité. Depuis plus de vingt ans les universités et leurs étudiants subissent les effets néfastes de ces contraintes et de ces politiques. Depuis plus de vingt ans les étudiants universitaires québécois profitent d'une formation qui est de très loin la moins coûteuse en Amérique du Nord.
Sommes-nous au bout de nos peines ?
Je crois que nous n'avons encore rien vu. Les coûts de la santé, la réparation des dommages environnementaux, la pauvreté et le piètre état de nos infrastructures urbaines feront subir à l'ensemble du système des pressions énormes. On peut prévoir que les gouvernements, en toute bonne foi, seront incapables de donner à la formation universitaire les ressources qui s'imposent après vingt ans de vaches maigres. Par contre, on ne peut plus demander aux universités de réaliser la quadrature du cercle: assumer la responsabilité de la formation de diplômés qui répondent aux critères de compétence internationaux en s'appuyant sur un gouvernement qui mesure son soutien au compte-gouttes et sur des étudiants qui exigent de maintenir leur responsabilité financière au niveau de ce qu'elle était il y a dix ou quinze ans, en chiffres absolus.
Il faut que cette situation cesse de toute urgence. En refusant de remettre en cause le gel des frais de scolarité, le premier ministre a invoqué notre responsabilité à l'égard des générations futures. Je crois qu'il faut inverser la proposition et affirmer qu'au nom de notre responsabilité à l'égard de nos étudiants, actuels et futurs, nous devons revenir sur cette politique qui a joué par le passé un rôle positif important, qui a déjà commencé à avoir des effets négatifs et dont le maintien en 2002 est néfaste pour tout le monde, surtout pour les étudiants.