Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
Grains
de sagesse
Printemps 2002, numéro 4
Chronique de l'Université
DIS-MOI TON NOM ...
La qualité et l'ampleur des réflexions qui président au choix du nom à « donner » à celui
ou celle qui
vient de naître ne manque jamais d'impressionner l'observateur. Il faut bien voir que ce choix n'est pas toujours très simple. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à se référer à l'histoire plus ou moins ancienne; on n'a qu'à observer les pratiques en usage chez les groupes humains appartenant à d'autres cultures. Il semble bien, dans cette entreprise, qu’on doive tenir compte tout aussi bien des traditions locales qui imprègnent le milieu que du rôle anticipé que jouera l'être à « nommer ». Il s'agit d'un geste « créateur ».
Souvent, je me surprends à associer des réflexions de ce genre à certaines étapes de la vie de cette « maison » qui me colle à la peau depuis 60 ans. Installée au début des années '40 dans l'édifice de la montagne, l'Université a eu recours à des « dépendances » pour accommoder la montée en flèche de sa population étudiante. Pratiquement dans le même souffle, on a retenu le nom d'universitaires prestigieux, tels Maximilien Caron, Lionel Groulx et Marie Victorin, René J.A. Levesque, pour donner vie à ces nouvelles entités
et pour les bien identifier.
Plus récemment, et en fonction de l'accroissement exceptionnel des activités de recherche, de nouveaux édifices sont apparus sur le campus. La plupart d’entre eux doivent leur existence aux mécènes et généreux donateurs dont les importantes contributions financières ont servi de catalyseur auprès des décideurs gouvernementaux. Ils ont nom: Samuel-Bronfman (Bibliothèque des lettres et sciences humaines), Paul-G.-Desmarais (Physiologie et sciences biomédicales), André-Aisenstadt (Sciences mathématiques), Liliane-de-Stewart (Nutrition). Dans un avenir prochain s'ajouteront d'autres pavillons qui rappelleront la générosité de
donateurs exceptionnels: Marcelle Coutu, Jean Coutu, J.-Armand Bombardier.
Ce bref tour d'horizon fait ressortir la singularité de la situation faite à ce magnifique édifice dont la silhouette caractéristique se profile fièrement sur le ciel montréalais et que tout un chacun associe automatiquement à l'Université de Montréal. Je sais fort bien que les travaux de toponymie ne se prêtent guère à des improvisations. Dans le cas du pavillon dit "principal" on a certes procédé avec prudence. J'estime que cette prudence ne saurait dégénérer en pusillanimité.
Mais de quoi s'agit-il donc ? Ne serait-il pas éminemment souhaitable d'associer à ce pavillon le nom d'un grand universitaire dont les mérites exceptionnels lui auraient valu une réputation internationale et dont le prestige serait à la hauteur de la renommée dont bénéficie l'Université de Montréal ? Je réponds oui avec enthousiasme. De plus, les circonstances s'y prêtent de plusieurs façons. L'Université clôturera d'ici peu sa fructueuse campagne de financement « Un monde de projets »; à mon sens, il serait tout à fait approprié qu'elle profitât de cette occasion pour "nommer" son bâtiment principal. Voilà pour
les circonstances !
Parallèlement, et c'est là le point vraiment essentiel, parmi le groupe très restreint d'universitaires dont la carrière et les états de service pourraient correspondre aux critères à retenir, émerge la figure dominante de Roger Gaudry décédé le 7 octobre 2001 à l'âge de 87 ans. Et voilà pour la candidature! Universitaire de haute venue, Roger Gaudry aura marqué l'Université de Montréal par ses qualités personnelles, par le rôle de tout premier plan qu'il a joué pendant les 10 années de son rectorat et par son indéniable prestige sur le plan international. Les quelques lignes qui suivent soulignent les points saillants du texte que je signais dans FORUM (15 octobre 2001) en hommage à Roger Gaudry. Ce texte, qui apparaît comme encart dans le présent numéro de Grains de sagesse, est également
disponible via le site web de l'APRUM: www.aprum.umontreal.ca/disparus/hommage_gaudry.htm.
Après des études universitaires à Oxford à titre de boursier Rhodes, Roger Gaudry entreprend en 1940 une fructueuse carrière d'enseignant et de chercheur qui lui vaut son élection à la Société royale du Canada (1954) et la médaille Léo-Pariseau de l'ACFAS (1958). Recruté par une grande firme pour diriger ses laboratoires de recherche de la métropole, Roger Gaudry fait sa marque et devient rapidement vice-président responsable de la recherche pour toute l'entreprise (1963). Introduit, au début des années '60, au Conseil des Gouverneurs de l'Université, suite aux démarches de quelques professeurs, Roger Gaudry fait montre de qualités qui induisent le Cardinal Léger à le faire nommer, par Rome, premier recteur laïque de l'établissement (1965). Réalisant l'importance que les professeurs attachent à une participation directe à la détermination des orientations de l'établissement, Roger Gaudry apporte son support aux travaux des comités lesquels conduisent, en 1967, au morcellement de la charte pontificale de l'Université et à la mise en opération de la présente charte civile. Poussant plus avant son désir d'une réforme interne des structures facultaires, il donne son appui aux recommandations qui conduisent, en 1972, à la création de la Faculté des arts et des sciences (FAS) et de la Faculté des études supérieures (FÉS).
Et pendant tout ce temps, Roger Gaudry participe aux activités d'organismes prestigieux: Conseil de recherche pour la défense (1962-1968), Conseil national de la recherche (1963-1966), Conseil économique du Canada (1970-1973) et Conseil des sciences qu'il préside (1972-1975). Membre de l'Association internationale des université en 1970 et président (1975-1980), il joue également un rôle de tout premier plan dans la création de l'Université des Nations-Unies dont il devient le premier président en 1974. Que ses grands mérites aient été reconnus ne surprendra personne. On le retrouve, notamment, comme récipiendaire de nombreux doctorats honorifiques, comme Compagnon de l'Ordre du Canada et comme Grand officier de l'Ordre national du Québec.
Il ne fait point de doute que Roger Gaudry ait été une figure dominante de la communauté universitaire mondiale. Qu'il ait joué un rôle de tout premier plan lors de la période charnière qu'a connue l'Université dans les années '60 et '70 n'a plus à être démontré: ses œuvres en témoignent élogieusement.
Deux de ses successeurs, Robert Lacroix (FORUM 15 octobre 2001) et Paul
Lacoste (FORUM 22 octobre 2001), en ont convenu avec enthousiasme.
J'ai personnellement la conviction que le moment est venu de passer aux
actes. L'Université ne saurait davantage accepter que son pavillon le plus emblématique ne soit que "principal".