Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
Grains de sagesse
Été 2006, numéro
12
Le nouveau visage
des bibliothèques
À moins d'avoir vécu en ermite ces dernières années, vous aurez certainement noté une évolution remarquable des bibliothèques de notre université. En effet, nous vivons en ce moment la révolution de l'Internet et nos bibliothèques naviguent allègrement sur cette vague. Le nombre d'abonnements à des périodiques électroniques est passé, dans les cinq dernières années, de 1 138 à près de 12 000.
Comme les publications électroniques peuvent être consultées par Internet, on peut se demander ce qu'il en est de la fréquentation des bibliothèques concrètes, celles où on va emprunter un livre, où on va lire une revue, où on va faire une recherche bibliographique, où les chercheurs vont lire des périodiques portant sur leurs sujets de recherche?
Notre université compte 18 bibliothèques. Certaines ont vu leur fréquentation décroître remarquablement, celle de physique détenant le record de la diminution de fréquentation. Selon une petite enquête menée sur la fréquentation de quelques bibliothèques scientifiques, il semble bien que les professeurs - dans certaines disciplines scientifiques - fréquentent de moins en moins leur bibliothèque. Que s'est-il passé? Avec l'avènement de l'Internet, on a assisté à une quasi-révolution dans le domaine de la publication de périodiques scientifiques et dans la recherche bibliographique. L'Internet rend maintenant accessible une quantité de données telle que cela aurait été tout à fait impensable il y a à peine une vingtaine d'années.
Les éditeurs de publications scientifiques mettent maintenant leur production à la disposition des chercheurs sous forme électronique. Les chercheurs publient souvent leurs récents travaux sous forme de manuscrits (e-print) de telle sorte que tout collègue du même domaine de recherche a maintenant accès directement et rapidement sur son ordinateur aux derniers résultats de recherche dans ce domaine. On peut voir le « e-print » comme le précurseur d'un article qui sera éventuellement publié dans une revue qui utilise le système d'évaluation par les pairs. Une banque de données importante de « e-print » se trouve dans les archives « arXiv.org » développées par Paul Ginsparg au Los Alamos National Laboratory.
Depuis quelques mois, l'Université offre un service de dépôt institutionnel numérique « Papyrus » qu'on trouve à l'adresse :
Nous avons demandé à plusieurs professeurs des départements de science de notre université s'ils fréquentaient encore leur bibliothèque aux fins de recherche. Tous nous ont répondu que depuis quelques années leurs visites à leur bibliothèque se limitaient à la consultation de manuels pour les besoins d'enseignement. Bien sûr, ils fréquentent, comme tout citoyen cultivé, les bibliothèques pour leurs lectures culturelles dans des domaines autres que les leurs. Les chercheurs orientent leurs consultations de périodiques de plus en plus vers les versions électroniques, mais cette évolution des pratiques varie beaucoup selon les disciplines.
Les professeurs Marius D'Amboise et Yves Marcoux, ainsi que Madame Claire Dubois, « Chef de Bibliothèque » nous ont gentiment fait parvenir sur cette question leurs commentaires ainsi que des statistiques sur la fréquentation des bibliothèques de physique, de chimie et de mathématique-informatique de l'Université de Montréal. Ces données statistiques laissent voir une diminution de la fréquentation de ces bibliothèques au cours des cinq dernières années. Cette diminution est peut-être significative statistiquement - cela reste à voir -, mais elle n'est pas du tout importante. Qu'est-ce à dire? La contradiction qu'on pourrait voir entre ces chiffres et ce que les professeurs affirment ne tient pas, car les étudiants, qui sont beaucoup plus nombreux que les professeurs, continuent de fréquenter leur bibliothèque. Y trouvent-ils un endroit tranquille où travailler? Sans doute. De plus, leurs besoins de consulter quotidiennement les derniers résultats de recherche se font moins sentir, en tout cas pour les étudiants de premier cycle.
Depuis quelques années, les professeurs et les chercheurs disposent d'outils de recherche bibliographique sophistiqués. Citons comme exemples le « SciFinder Scholar » pour les chimistes, le ADS (Astrophysics Data System de la NASA) pour les astronomes. Ce type d'outil est couplé aux grandes banques de données scientifiques, ce qui donne accès à de nombreuses publications de recherche. De plus en plus, les éditeurs enrichissent leurs versions électroniques par des systèmes de renvoi vers d'autres publications ou d'autres sources de données. Ils font aussi un effort pour utiliser des formats (PDF, HTML, XML) qui facilitent l'archivage et l'impression de documents. Plusieurs de ces éditeurs offrent maintenant une édition électronique et la plupart des périodiques sont accessibles en ligne pour les numéros récents. Les éditeurs continuent à numériser leurs archives en donnant la priorité aux articles qui ont marqué le plus la discipline.
Dans certains cas, les bibliothèques peuvent s'abonner à la version électronique seulement; dans plusieurs autres cas, elles doivent se procurer d'abord la version papier pour obtenir la version électronique. Les « licences » remplacent de plus en plus les versions papier et nos bibliothèques doivent faire des choix…
Pour les étudiants de premier cycle en sciences, le manuel demeure l'outil principal de travail. Les manuels électroniques, les « e-book » sont encore rares, mais pour combien de temps? Quand on voit les maisons de logiciels abandonner la publication de manuels papier pour n'offrir qu'une version électronique, on peut supposer que les éditeurs de manuels de sciences iront aussi dans cette direction. Notons que nos bibliothèques ont commencé à réagir et elles offrent déjà plusieurs centaines de titres sous forme électronique (livrels ou e-books). On y accède par Atrium. Pour les laboratoires d'enseignement, on commence à voir apparaître des « labos virtuels » qui sont fort utiles, même si on sait qu'ils ne remplaceront jamais des expériences vécues dans un « vrai » laboratoire.
Que se passe-t-il dans les autres départements ou facultés? On peut penser que dans les sciences médicales on retrouve à peu près la même situation qu'en science. On sait qu'en sciences médicales fondamentales les versions électroniques sont plus consultées que dans les secteurs cliniques. Et en sciences humaines, en lettres, en droit, en musique,… nous serions curieux de voir si on y trouve le même type d'évolution.
Il faut reconnaître qu'il y a une différence marquée entre les bibliothèques académiques et les bibliothèques générales. Une chose est certaine : la fréquentation des bibliothèques générales est en nette augmentation au Québec.
À Montréal, la Grande Bibliothèque, ouverte il y a un peu plus d'un an, est un succès phénoménal. Déjà, elle compte environ 250 000 abonnés. Cette première année, on a compté plus de 3 millions d'entrées et 3,5 millions de documents ont été empruntés. La Grande Bibliothèque a aussi un site web et cette année il a été visité 14 millions de fois. Elle met à la disposition des abonnés des postes informatiques branchés sur l'Internet. Plusieurs prêts consistent en des documents audio-visuels ou informatiques. Il n'en reste pas moins qu'une grande partie des documents empruntés sont des livres ou des revues.
On pourra dire que tout n'est pas parfait à la Grande Bibliothèque. Sans parler du problème des carreaux de verre qui nous menacent, il y a le problème des attentes aux différents guichets, en particulier la queue pour obtenir sa carte d'abonné. Bref, un franc succès pour une bibliothèque à laquelle tous n'ont pas cru au moment de sa création.
Dans les quartiers, nous avons des bibliothèques situées souvent dans le même bâtiment qu'un centre culturel. C'est le cas à la bibliothèque de Côte-des-Neiges, tout près de notre université. Si on en juge par cette dernière, ces bibliothèques sont également un grand succès. Notons cependant que les heures d'ouverture ne plaisent pas à tous : fermeture le lundi et même le dimanche pendant l'été, elles sont ouvertes surtout en après-midi.
Il serait intéressant de voir quels sont les types de documents qu'on emprunte dans les bibliothèques. Autour de nous, nous voyons de plus en plus de personnes qui utilisent l'ordinateur pour obtenir des renseignements sur une foule de sujets. La richesse d'information offerte sur la Toile permet, tout en restant bien confortable chez soi, d'obtenir satisfaction à ses besoins de référence. Par contre, qui trouverait agréable la lecture d'un roman en faisant défi-ler les pages sur son ordinateur?
De plus en plus, les foyers sont munis d'au moins un ordinateur et on peut s'attendre à ce que les recherches sur la Toile deviennent monnaie courante pour la plupart de nos besoins d'information. Il faut bien reconnaître que la fiabilité de l'information sur la Toile est souvent très faible, ce qui rend encore plus important le rôle des bibliothécaires. Nous croyons que les bibliothèques sont là pour encore très longtemps, mais elles devront continuer à se transformer pour répondre aux nouveaux besoins des utilisateurs. Les façons de faire dans certains domaines de recherche seraient-elles une indication de ce qui sera la pratique de tous dans une décennie?