Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
GRAINS DE SAGESSE
Décembre 2005, numéro 11
Notre campus, quoi de neuf?
Beauty is in the eyes of the beholder selon le dicton. C'est pourquoi je me propose de visiter le Campus avec toutes ses nouveautés, afin que nous puissions nous faire une idée de ses nouvelles qualités. Mais auparavant, donnons-nous des outils pour l'apprécier systématiquement.
En effet, apprécier une œuvre d'architecture ou d'aménagement est semé d'embûches. Le concepteur ne nous livre pas les secrets de son design; il ne nous dira pas comment le concept a été formulé; les informations fournies par ce qu'on appelle communément « l'évaluation post-occupation » ne sont pas souvent divulguées, ne serait-ce que pour des raisons de confidentialité. Quant aux opinions formulées subjectivement : qui faut-il croire? Autrement dit, qui a le privilège de s'exprimer à ce propos et de se faire entendre? Le passant ou le touriste? Ou bien celui qui travaille dans le bâtiment? Ou celui qui traverse le paysage du Campus tous les jours?
Nous savons que l'architecture et l'aménagement relèvent d'un art — certes —, mais nous savons également qu'ils comportent un volet social qu'il faudrait inclure dans notre évaluation. Commençons donc par nous faire une idée — forcément approximative — du travail de l'architecte et de l'urbaniste.
Le travail de l'architecte et de l'urbaniste
Le bon architecte (et tous les architectes du Campus sont bons, n'est-ce pas) commence son travail par une analyse minutieuse du « qui fera quoi » dans le bâtiment dont il a la responsabilité. Il s'agit là d'une prospection sur la vie quotidienne future, sur les conditions physiques, esthétiques et psychologiques qu'il faut fournir, et qui détermineront le bien-être (et, bien sûr, la productivité) des futurs occupants des lieux.
Les conditions physiques portent sur un ensemble de paramètres, tels l'acoustique (très importante, par exemple, dans un amphithéâtre), la pureté de l'air (par exemple dans un laboratoire), l'éclairage (incontournable dans une salle d'informatique) ou la température (dans un aréna). Il s'agit d'autant d'aspects potentiellement quantifiables si notre architecte se réfère aux sciences naturelles. La liste des critères physiques est longue, et couvre tout ce qui aura un impact sur la physiologie des occupants futurs. Pire, la liste est non seulement longue, mais elle contient souvent des incompatibilités inhérentes; par exemple, plus il y aura de la lumière du jour, plus il y aura des fluctuations de température, ou bien encore plus il y aura de lumière, plus grand sera le risque d'éblouissement.
Il y a une deuxième liste des conditions à fournir, qui touche les aspects esthétiques et psychologiques, c'est-à-dire des considérations essentiellement non quantifiables, voire qualitatives. Il s'agit de proportions, de couleurs, d'intimité, de proximités…
L'architecte transforme ces critères (qui s'expriment en termes de finalités, en termes de ce qu'il faudrait livrer au client) en un projet concret de bâtiment par son choix de formes, et de matériaux et produits. Pour la lumière du jour, par exemple, l'architecte pensera « fenêtre » et procédera à une vérification de la luminosité; pour l'acoustique : ce sera un choix de « tuiles acoustiques », pour le plancher sur lequel, même mouillé, on ne glissera pas : ce sera « terrazzo ». Ce processus n'est pas linéaire; après de nombreuses itérations, le projet sera presque prêt à livrer aux constructeurs. Cependant, il faut reconnaître qu'il est presque toujours impossible d'assurer la satisfaction de tous les critères demandés; à ce propos, ce n'est pas par hasard que Allen Newell et coll. (1959) introduit le concept de « satisficing » (sic) — c'est-à-dire, la nécessité d'accepter les combinaisons de caractéristiques qui sont plausibles dans les circonstances et de ne pas chercher l'optimisation absolue.
Interviennent alors en force les considérations économiques. Le budget oblige d'autres compromis, des restrictions sur la qualité, le choix de matériaux de deuxième niveau…
Pour rendre compte de la réussite ou non de cette démarche, notamment de l'impact des compromis, seuls les utilisateurs peuvent nous en parler en connaissance de cause. Est-ce que tout fonctionne bien? Est-ce qu'il y a ce petit extra — ce qui surprend agréablement — qui rend les lieux conviviaux?
Le travail de l'urbaniste
La cohérence d'un ensemble de bâtiments, comme notre Campus, découle de la cohérence de la vision de l'urbaniste — et je ne parle pas seulement de l'apparence. Car un Campus c'est aussi des allées et des retours, des cheminements efficaces et agréables, des rencontres fortuites à la croisée de deux chemins et des rendez-vous planifiés sur une place publique. La palette de l'urbaniste inclut la création d'espaces, qu'ils soient ouverts ou fermés.
C'est donc l'urbaniste qui doit être sensible aux impressions rencontrées lors du mouvement sur le Campus. L'urbaniste doit prévoir les suites des sensations qui jalonnent les parcours : protection ou ouverture, variété ou répétition des sols, impressions d'être protégé ou ouverture vers le monde extérieur.
Percevoir le travail de l'urbaniste implique la mobilisation de tous les sens : l'odorat, l'ouïe, la vue, le toucher…
Et quelles sont nos impressions?
Pourquoi me suis-je tant attardé sur le travail de l'architecte et de l'urbaniste? Pour la simple raison que chacun de nous formera une opinion du Campus et de ses éléments en fonction de sa relation avec les lieux. Est-on utilisateur quotidien, ou visiteur, ou livreur — dont les attentes et donc les impressions seront différentes?
Il est bien connu que chacun, pour survivre en milieu urbain, construit une « carte cognitive » qui lui permet de maîtriser un lieu (ici, le Campus) et de le « mettre à son service ». Chacun procédera également à une « appropriation » 1 des espaces qui lui sont assignés, de sorte que le Campus n'est pas seulement un lieu, mais également une somme de perceptions.
Ce Campus est en train de subir une modification fondamentale. À l'origine, il était tourné impitoyablement vers l'extérieur (la vue au loin, les vents du Nord et l'impression vertigineuse du vide); cette monumentalité symétrique et déshumanisée s'est progressivement effritée, les bâtiments s'enchaînant progressivement le long du talus. Aujourd'hui les édifices s'implantent sur plusieurs rangées, créant une riche variété d'espaces, ouverts et fermés, qui sont autant d'éléments d'un véritable vocabulaire architectural et urbain.
Le Campus, qui a donc subi tant de modifications ces dernières années, est devenu l'écrin d'une interaction constante entre les personnes et des bâtiments. Quand nous y allons, nous ajoutons notre part à ces interactions dynamiques.
Cependant, pour éveiller notre curiosité, voici quelques photos en page 3 et 4 qui suggèrent la nouvelle apparence de notre Campus. Certes, les photos sont statiques; elles « extraient » une partie de la réalité, car elles n'ont que deux dimensions alors que la vie sur le Campus en a quatre.
Maintenant, laissons-nous tenter par une visite en nous rappelant le travail de l'architecte et de l'urbaniste et en essayant de le décoder à partir de nos impressions et de nos sensibilités.