Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal
Bulletin
de l'APRUM
Automne 2000, numéro 1
De l'utilisation des terrains boisés
Pour commencer cette série qui, je
l'espère, sera longue et savoureuse, voici une anecdote qui illustre le
contraste entre les années cinquante et aujourd'hui.
Il
y a encore passablement d'arbres autour des bâtiments de l'Université. il
y en avait bien plus il y a un demi-siècle, quand j'ai commencé à fréquenter
ce site, qu'arpentait aussi, mais avec combien plus de noblesse, Mgr le Recteur
Maurault. A vrai dire, nous vivions littéralement dans les bois : ils
entouraient le seul édifice de
l'époque - qui n'était même pas complètement utilisé - et ils
occupaient toute la surface comprise entre le bâtiment et le boulevard Édouard-Montpetit,
qui s'appelait à l'époque la rue Maplewood. Une exception cependant : une
maison aux couleurs effacées et qu'on distinguait à peine, parmi tous ces
arbres, celle du Recteur Maurault, justement. Personne n'y allait.
Donc,
dès qu'on s'éloignait du bâtiment,
on était en pleine nature. Je devrais dire « dès qu'on sortait du bâtiment », car s'il pleuvait, on avait tout de suite les pieds dans la boue, ce qui
chagrinait certains profs de droit, obligés d'aller ainsi au prétoire, leur
toge étant trop courte pour cacher leurs souliers boueux!
Revenons au bois sauvage. Il n'y avait
pas de sentier entretenu (sauf, j'imagine, celui qui conduisait à la maison
du Recteur). De la rue, on ne voyait rien de la vie qui s'ébattait derrière
ces arbres et arbustes.
Vous
vous attentez à quelque anecdote
épicée concernant Mgr Maurault? Détrompez-vous! Il s'agit d'un tout autre
mystère : il y eut une autre maison dans ces bois. En 1948 ou 1949, j'avais
un ami et ancien camarade de collège qui était inscrit en relations
industrielles, je crois, mais qui devait vivre par ses propres moyens, au sens
le plus strict du terme. Pour économiser le loyer d'une chambre, il avait
transporté de nuit une maison d'enfants au milieu du bois, à peu près là où
se trouvent les résidences d'étudiants actuelles. Il y vivait, se chauffait
l'hiver au mazout, s'éclairait avec de l'« huile à lampe » et arrivaità se faire une certaine cuisine, qu'il pouvait compléter par celle des
restaurants ou hôtels où il travaillait comme serveur. Il y a passé, je
crois, une année scolaire complète, sans se faire repérer, mais dans la
crainte de se faire chasser. On allait le voir avec discrétion. J'y ai passé
une soirée à boire quelques bières avec deux ou trois amis. C'est le seul
cas de ce genre que je connaisse : il fut peut-être le premier étudiant à
loger sur le campus… et sans frais!
*Note du responsable
du site. Cette caricature a d'abord été publié dans le Quartier
Latin le 28 octobre 1938 (Volume 21, numéro 8). Elle a été reprise dans
le livre L'Université de Montréal, La quête du savoir (Madame
Hélène-Andrée Bizier) en page 213. Merci à Monsieur Denis Plante du service
des archives de l'Université de Montréal pour nous avoir fourni cette
information.
Dommage
qu'aujourd'hui, ni le Recteur, ni les étudiants, ne puissent plus vivre cachés
dans les bois, à
trois cents mètres des salles de cours… à bonne distance les uns des
autres. Hélas! on a défiguré la nature, diraient certains; on a offert des prêts-bourses
aux étudiants; et nos recteurs ne sont plus de solitaires prélats domestiques
lisant leur bréviaire sous les arbres. Mais c'est compensé : les profs de
droit ont des souliers propres.