Université de Montréal

Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal



Bulletin de l'APRUM

Automne 2000, numéro 1

Un certain samedi d'octobre 70

Il est huit heures, un beau samedi matin d'octobre 70. J'étais alors jeune prof à la faculté de droit et je dirigeais DATUM, un projet de recherche (qui a été cédé par la suite au Barreau et au Ministère de la justice et fonctionne encore sous le nom de SOQUIJ). Ce projet consistait à créer un système de repérage par ordinateur ainsi qu'une banque de données en texte intégral (depuis 1950 jusqu'à ce jour) et un thésaurus juridique bilingue sur la jurisprudence utilisée au Québec (Cour Suprême, Cour d'appel, Cour Supérieure). Nous avions constitué, en collaboration avec le Centre de calcul alors dirigé par Jacques St-Pierre, une équipe composée de près de cent personnes (informaticiens, linguistes et juristes) dont 70 étudiants, de droit pour la plupart. Il fallait notamment transcrire et corriger les millions de mots français et anglais du texte intégral de notre jurisprudence, créer de toute pièce des programmes de repérage qui n'existaient nulle part ailleurs à cette époque et compléter un thésaurus bilingue pour faciliter le repérage dans les deux langues. Nous avions presque terminé la saisie des textes sur bandes magnétiques, les programmes étaient fonctionnels et le thésaurus avançait rondement. Nous prévoyions commencer la mise en service auprès de la communauté juridique au cours de l'année 1971. Nous étions à l'avant-garde du repérage d'information à travers le monde, nous disposions de moyens financiers considérables. Nous étions très fiers de ce que nous accomplissions.

Or, ce samedi matin d'octobre 70, je reçois chez moi trois appels du vice-recteur Archambault et d'un officier supérieur de la police de la ville de Montréal. Il y aurait un commando du FLQ à l'intérieur de DATUM! Son projet serait de détruire la banque de données de DATUM… dont nous n'avions pas encore fait de copie… Trois ans de travail, un investissement de près d'un million de dollars. Est-ce un canular, des propos hystériques ou frondeurs de quelques étudiants autour d'un café ou d'une bière? Le FLQ détient James Cross et Pierre Laporte; le Québec est sous le coup de la loi des mesures de guerre. Nous sommes tous en état de choc. Pas de risques à prendre! En moins de quinze minutes, j'alerte Jacques St-Pierre, Jean Baudot, Philippe Guay, Pierre Stewart et mon collègue de DATUM, Ejan Mackaay. Nous nous retrouvons tous au Centre de calcul. Nous sommes sur un pied de guerre…; et c'est un samedi!

Nous décidons qu'il faut faire ce jour même, des copies de notre énorme banque de données. Il n'y a pas suffisamment de bandes magnétiques en réserve à l'Université et même à Montréal; nous en commandons à Toronto. On nous les expédie par avion. Nous faisons venir de toute urgence quelques techniciens du Centre de calcul. Nous nous barricadons, au sens littéral du terme, dans le Centre de calcul. La Sécurité de l'Université surveille et vérifie tous les déplacements. Nous commandons des pizzas et des mets chinois… Depuis dix heures le samedi matin, le CDC-6600 fonctionne sans arrêt, pendant seize heures. À deux heures, le dimanche matin, sous surveillance, nous poussons un grand chariot plein des centaines de bandes magnétiques qui contiennent la précieuse copie de la banque de données de DATUM. Nous allons remiser le tout dans une grande chambre forte qui se trouve près de la petite porte du troisième étage du bâtiment central. Les responsables de la Sécurité sont présents. La radio joue à tue-tête. Elle annonce la découverte, à St-Hubert, dans le coffre arrière d'une voiture, du cadavre de Pierre Laporte.

Jacques Boucher



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