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Quelles sont la nature et l'origine des intérêts professionnels? Quels rôles jouent-ils dans nos vies? Diffèrent-ils selon le sexe et la profession? La mesure qu'on peut en faire permet-elle de prédire les choix et les comportements professionnels? Au cours des trente-cinq dernières années, Bernard Tétreau et Michel Trahan, respectivement retraités de psychologie et des sciences de l'éducation, ont élaboré une méthode de mesure des intérêts professionnels basée sur la présentation de photos de travailleurs qu'ils ont utilisée dans leurs recherches concernant ces questions et d'autres qui y sont reliées . Leur Test visuel d'intérêts (TVI), qui a fait l'objet de validation et d'expérimentation auprès de plusieurs dizaines de milliers d'étudiants et de travailleurs des deux sexes francophones, anglophones, hispanophones et lusophones en Europe, en Afrique et dans les Amériques du Nord et du Sud, leur a permis d'apporter des réponses empiriques à ces questions. Dans un numéro de la revue Carriérologie consacré à la psychologie des intérêts (volume 10, No 1, 2005, site Internet : carrierologie.uqam.ca), ces collègues signent chacun deux articles qui résument l'essentiel des résultats de leurs recherches. Quelques extraits concernant l'une des questions susdites, les différences des profils d'intérêts selon le sexe, cités à titre d'exemple, donneront un aperçu de ces résultats.
Très généralement, les études portant sur l'organisation des aspirations et des intérêts professionnels ont régulièrement conclu à des différences persistantes entre les deux sexes, et cela indépendamment de l'âge, du pays et de l'appartenance linguistique ou culturelle. Dans les années 1950, on avait déjà observé que, dès l'âge de neuf ans, s'installent une différenciation et une cohérence marquées des intérêts professionnels selon le sexe. Les études subséquentes ont montré que si leurs auteurs ont obtenu plus ou moins de succès à vérifier l'émergence d'une structuration des intérêts à partir de la quatrième année du niveau primaire, elles ont très généralement mis en relief des différences selon le sexe chez les enfants comparables à celles observées pour les adultes. De sorte que, malgré les changements sociaux qui ont amené une plus grande participation des femmes au monde du travail depuis quelques décennies, et malgré les efforts pour éliminer les biais sexuels dans les items des inventaires d'intérêts, les scores obtenus par les hommes et les femmes à ces inventaires continuent de mettre en relief des profils différents, ceux des hommes révélant plus souvent des intérêts pour les activités des types réaliste et investigateur, tandis que ceux des femmes montrent davantage des intérêts pour les activités des types artiste, social et conventionnel. Cette différenciation des intérêts hommes/femmes s'est confirmée même lorsqu'on a donné le choix à 295 filles et 297 garçons québécois de la cinquième année du niveau primaire jusqu'à la onzième du niveau secondaire, dans une expérimentation faisant appel à une inversion du sexe des personnages apparaissant sur les photos du TVI, d'indiquer s'ils préféraient le modèle du travailleur ou de la travailleuse correspondant à leur propre sexe. Suivant le principe de l'identification à son propre sexe, une majorité des garçons et des filles ont effectivement exprimé une préférence pour le modèle correspondant à leur sexe, mais les profils de leurs intérêts n'en ont pas moins continué de refléter les différences traditionnelles. Par exemple, bien que les garçons aient préféré le modèle masculin au modèle féminin du téléphoniste standardiste et, contrairement au principe d'identification, le modèle féminin au modèle masculin du réparateur d'appareils de télévision, ils ont néanmoins assigné à ce dernier (modèle réaliste) sur l'échelle d'intérêt en cinq points (n'aime pas du tout, n'aime pas, indifférent(e), aime, aime beaucoup) une valeur statistiquement significative de deux points plus élevée qu'au premier (modèle conventionnel). Pour illustrer davantage, une même différence de deux points plus élevée pour le type social, représenté par le modèle de l'infirmière (« aime »), que pour le modèle réaliste de la cordonnière (« n'aime pas » ou « n'aime pas du tout »), a été observée dans le cas des filles, qui ont pourtant préféré le modèle féminin au modèle masculin tant pour l'une que pour l'autre de ces deux professions. Deux intéressantes exceptions à cette confirmation de la règle de la différenciation des intérêts selon le sexe sont toutefois apparues : les filles du sous-groupe de la 11e année du secondaire ont obtenu à l'échelle E (esprit d'entreprise) une moyenne significativement plus élevée que celle de leurs confrères, tandis que la différence des moyennes à l'échelle I (investigateur) s'est avérée non significative. Ces différences et ressemblances des moyennes obtenues au TVI par les garçons et les filles de cette expérimentation sont aussi comparables à celles observées pour des échantillons équivalents en âge mais beaucoup plus considérables d'étudiants et d'étudiantes d'appartenances linguistiques et ethniques variées. Couplés aux données recueillies sur plusieurs décennies au moyen d'autres inventaires d'intérêts professionnels, tous ces résultats semblent confirmer que si les différences des intérêts entre les hommes et les femmes sont persistantes, la tendance générale va dans le sens d'une diminution de ces différences.
Professeur associé et continuant activement ses études en psychologie des intérêts et du développement professionnel depuis sa retraite comme professeur titulaire en 1999, Bernard Tétreau est membre de deux groupes de recherche respectivement en counseling et développement de carrière, à l'Université de Sherbrooke, et en intervention sur l'éducation et la vie au travail, à l'Université Laval. Dans le cadre de ces collaborations, il a aussi cosigné deux articles sur les conflits entre le travail et les rôles familiaux, parus dans la Revue canadienne de counseling (2005, 39(3), 145-167) et la revue Carriérologie (2006, volume 10, No 3, 483-506, site Internet : carrierologie.uqam.ca), ainsi qu'un autre sur le développement professionnel des jeunes brésiliens paru dans la revue Psicologia em Estudo (2006, 11, 551-560). Enfin, il est aussi le coauteur avec Armando Marocco, un de ses ex-étudiants et professeur retraité de l'Université Unisinos (Sud du Brésil), d'un livre en instance de publication en portugais aux éditions Nova Aurora et traitant de l'aspect éducatif des inventaires d'intérêts dans la dynamique du choix professionnel.
Jean Cléo Godin