Le monde universitaire international vient de perdre un membre éminent. De son côté, l’Université de Montréal est en grand deuil. En effet, M. Roger Gaudry, qui y a occupé le poste de recteur au cours de la période 1965 à 1975, est décédé le 7 octobre dernier à l’âge de 87 ans. Il est certes impossible, en quelques courts paragraphes, de rendre justice à l’extraordinaire carrière de Roger Gaudry tant sont nombreux et diversifiés les domaines où il a œuvré tout au long de sa vie.
La carrière de Roger Gaudry a traversé successivement plusieurs étapes, chacune d’entre elles se présentant comme la suite logique de la précédente. Il y eut tout d’abord la carrière scientifique proprement dite laquelle s’est déroulée à Québec où Roger Gaudry est né. Des études en chimie à l’Université Laval, complétées par un stage de deux ans à l’Université Oxford grâce à une bourse Rhodes, l’ont conduit au doctorat (1940) puis à son engagement comme professeur et chercheur à la Faculté de médecine de l’Université Laval. La qualité de ses travaux de recherche - plus d’une cinquantaine de publications scientifiques - attire l’attention de ses collègues et de ses pairs et lui vaut son élection à la Société Royale en 1954 et l’attribution par l’ACFAS de la médaille Pariseau en 1958.
En 1954, s’ouvre le second volet de la carrière scientifique de Roger Gaudry. Il accepte alors le poste de directeur adjoint des laboratoires de recherche de la firme Ayerst, McKenna et Harrison. Il ne tarde pas d’y gravir rapidement les échelons devenant successivement Directeur des recherches de la compagnie Ayerst en 1957 puis Vice-président responsable de la recherche en 1963. A ce moment plus de 300 chercheurs, dont une centaine sont détenteurs d’un doctorat, travaillent sous sa direction.
Mais déjà se manifeste plus concrètement son intérêt pour le monde académique. Suite à des démarches entreprises par l’Association des professeurs de l’Université, il accède en 1961 au Conseil des gouverneurs de l’établissement puis devient membre de son Comité exécutif. C’est sous son influence que l’Université commence à s’ouvrir à l’informatique par la création en 1964 du Centre de calcul, fer de lance de l’essor de l’établissement dans ce domaine de pointe. Les qualités personnelles de M. Gaudry et son évidente compétence en matière d’administration jouent un rôle déterminant dans la décision du Cardinal Paul-Émile Léger de le faire nommer, en 1965, premier recteur laïc de l’Université de Montréal.
Et c’est alors que débute la partie la plus importante de la carrière de Roger Gaudry. Conscient de l’étroitesse de la marge de manœuvre de l’établissement à l’intérieur d’une structure à la fois civile et canonique, il relance la réflexion de la communauté universitaire sur le statut dont l’Université devrait disposer. A la suite des travaux intensifs d’un comité quadripartite (administrateurs, professeurs, étudiants et diplômés), il obtient des autorités compétentes, tant à Rome qu’à Québec, que l’Université se voit nantie, en 1967, d’une charte à la hauteur des aspirations de la communauté universitaire et du rôle important qu’elle doit jouer dans le milieu. Cette charte consacre l’existence des trois grands corps universitaires : le Conseil et son Comité exécutif, l’Assemblée universitaire et la Commission des études, lesquels n’ont cessé de jouer un rôle très important au cours des années.
Tout en réorganisant de fond en comble l’appareil administratif de l’Université, il met sur pied, dès 1968, une Commission et lui confie le mandat de proposer des modifications aux structures de gestion des facultés et des départements. Il en résulte, en 1972, la création de la Faculté des arts et des sciences (FAS) et de la Faculté des études supérieures (FES), pièces majeures dans le développement ultérieur de l’Université. Vers la fin des années 60, il s’emploie à consolider la présence de l’Université dans le domaine des sciences mathématiques en obtenant du Conseil national de recherche les ressources requises pour créer, en 1969, le Centre de recherches mathématiques qui a acquis depuis une réputation internationale. En bref, la présence de Roger Gaudry à la direction de l’Université a permis à l’établissement de se doter des instruments qui lui ont permis de se hisser, au Canada, au niveau des universités de calibre.
Tout au long de cette période, la réputation de grand universitaire de Roger Gaudry continue de prendre forme. On le retrouve, notamment, au Conseil de la défense (1962-1968), au Conseil national de la recherche (1963-1966), au Conseil économique du Canada (1970-1973), au Conseil des sciences à titre de Président (1972-1975) et à l’Association internationale des universités en 1970 dont il devient par la suite Président (1975-1980). Le prestige de Roger Gaudry devient tel que le Secrétaire des Nations-Unies l’invite à faire partie du Comité de fondation de l’Université de Nations-Unies en 1972; il participe, par conséquent, à la rédaction de la charte devant régir l’organisme projeté. De fait, Roger Gaudry en devient le premier président (1974-1976) et, par la suite, président de son Conseil d’administration (1976-1980).
Parmi les honneurs, prix et autres distinctions conférés à Roger Gaudry, il est de mise de singulariser, au delà de la douzaine de doctorats honorifiques qui lui ont été décernés, sa nomination à l’Ordre du Canada, à titre de Compagnon (1968) et celle à l’Ordre national du Québec, à titre de Grand Officier (1992). Et le monde des affaires n’est pas demeuré en reste comme en témoigne le grand nombre de conseils d’administration qui ont fait appel à sa compétence et à sa vaste culture
Roger Gaudry a été, à l’évidence, une figure dominante de la communauté universitaire mondiale. Au Canada et au Québec il a été un des très grands artisans du développement des universités. A l’Université de Montréal il a été, pour toute fin pratique, celui qui lui a permis de se doter des outils nécessaires pour jouer le rôle de tout premier plan qui est maintenant le sien. Sa mémoire vivra certes dans ses œuvres mais ce qui importe davantage, il vivra dans le souvenir impérissable de ceux et celles qui ont eu le grand avantage de travailler en sa compagnie.